© 2013, Cumant

Edition : BoD - Books on Demand

12/14 rond-point des Champs Elysées

75008 Paris

Imprimé par BoD – Books on Demand, Norderstedt, Allemagne

ISBN : 978-2-3220-0618-2

Dépôt légal : Novembre 2013

Cet ouvrage est une adaptation d’un mémoire de Maîtrise soutenu en 1990 à Paris-Sorbonne. Il s’adresse aux élèves musiciens et aux amateurs qui désirent parfaire leur culture musicale et surtout cherchent à s’échapper des idées reçues. Souvent, le musicien, qui étudie la musique dite « classique » apprend scrupuleusement le solfège et essaye de faire « exactement ce qui est écrit ». Or, cet adage vaut pour la musique du dix-neuvième siècle, qui tend à noter le plus exactement possible l’effet sonore afin que « rien ne se perde ». Or, on le sait, on peut enregistrer deux interprètes qui jouent scrupuleusement la partition : les interprétations vont différer. Au dixhuitième siècle, la notation n’est pas encore totalement fixée et les compositeurs laissent les interprètes orner les œuvres, ajouter leur touche personnelle.

Mais le propos central de cet ouvrage est la pédagogie : comment apprenait-on la musique ? À coups de règle sur les doigts, ou au contraire se souciait-on de développer le goût musical des élèves ? Les gens étaient-ils plus doués ? Y avait-il des ouvrages, des méthodes ?

INTRODUCTION

Apprendre tout et n'importe quoi, vite et sans efforts, semble être un phénomène très actuel. Nous rencontrons souvent dans les rayons des librairies ou sur le net des ouvrages ou des articles de vulgarisation, du type : « L'Anglais en quarante leçons », « Le jardinage facile », « Bricolez comme un pro », « La gymnastique sans douleur », « Je joue de la guitare », « Le Bridge en un jour » ... qui ne s'est pas laissé tenter par ces recettes magiques ? La musique n'échappe pas à cette tendance et tous les moyens sont mis en œuvre pour que devienne enfin accessible au grand public cette science aride qui se refuse à être « ingérable » « en quarante leçons ».

Bien sûr, les moyens modernes d'audition et de production musicales, de plus en plus parfaits, nous rendent semble-t-il paresseux, mais nous aurions bien tort de nous priver de tous ces outils électroniques qui nous permettent de jouer juste, d'enregistrer, de partager et même de créer un accompagnement, au minimum d'imprimer instantanément. En fait, nous n'avons jamais été aussi environnés de musique qu'aujourd'hui … on serait dans certains cas tenté de dire « de bruit », car la production musicale environnante, que nous consommons par tonnes, souvent de manière forcée, varie sur le plan de la qualité ! Dans « les temps anciens », pour entendre de la musique, il fallait trouver un exécutant, se rendre au concert ou à l'église, ou être musicien soi-même.

Serions-nous moins doués que nos ancêtres ? Rencontraient-ils autant de difficultés que nous dans l'apprentissage de l'art musical ? Et se souciait-on de la manière d'apprendre, de la pédagogie ?

Le Mercure de France1 de mai 1732 nous livre cette réflexion :

« La musique n'a qu'un défaut : elle est trop difficile à apprendre. Et je ne parle que du chant (…). Géométrie, algèbre, analyse, physique, etc … ne sont rien à côté (…). La musique n'est difficile que parce qu'on l'apprend par routine, exercice, habitude, mémoire (…). Il faut apprendre l'harmonie. » 2

Se souciait-on de présenter aux enfants un apprentissage (musical ou autre) d'une manière adaptée à leur âge ?

Citons encore le Mercure de France de Juin 1732 :

« Un alphabet occupe utilement les enfants, il ne parle qu'aux sens (aux yeux, le sens le plus vif) et à l'imagination, tandis que le maître parle aux oreilles. (…) Par l'alphabet ne profite-t-on pas même des imperfections de cet âge pour le progrès des connaissances puisqu'on n'y emploie que la voye du plaisir, surtout si l'alphabet est de bon pain d'épice ou de quelque autre pâte sucrée ».3

Rappelons que parmi les précurseurs de la pédagogie « moderne » se détachent le Pasteur Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826), auteur d'une méthode de lecture et initiateur des « jeux pédagogiques », et Madame Félicité de Saint-Aubin de Genlis (1746-1830), auteur d'ouvrages sur l'éducation des filles, qui fit fabriquer des maquettes et des marionnettes et faisait jouer des saynètes théâtrales à ses élèves. Il n'y avait pas que Jean-Jacques Rousseau dans l' « Émile » pour parler d'éducation !

Nous connaissons des compositeurs et des virtuoses à toutes les époques. Mais qu'en était-il des amateurs ? Comme nous l'avons souligné plus haut, pour entendre de la musique, si l'on ne pouvait se rendre au concert, il fallait pouvoir jouer soi-même d'un instrument. Ceci supposait qu'on l'avait apprise dès son plus jeune âge. Sinon, pouvait-on s'y essayer, ou se perfectionner à l'âge adulte, si l'on n'avait que peu de temps à y consacrer ? Citons Bernard Champigneulles 4:

« Sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, la vie musicale comme la vie intellectuelle trouve dans les salons son meilleur terrain d'épanouissement ; les deux sont d'ailleurs intimement fondues. C'est le triomphe de l' « Honnête Homme », qui s'intéresse à tout – souvent de façon un peu superficielle – et n'a pas de spécialisation. »

En 1695, « Madame » 5 (ou : « La Palatine »), mentionnait dans sa correspondance la faveur qu'avait la musique à la cour de Louis XIV : la danse avait été prisée durant la jeunesse de Louis XIV (qui la pratiquait beaucoup), pour laisser place à la musique.

Dans le Mercure de France de Mars 1741, figure l'annonce de la publication prochaine (octobre 1741) d'un ouvrage de Geminiani 6, intitulé : « Guide Harmonique, ou combinaison simple et sensible de tous les rapports que les sons peuvent avoir entre eux, ouvrage par le secours duquel, sans avoir aucune connaissance de la musique et sans cependant sortir des règles de la composition, on pourra dans l'instant composer de la façon la plus exacte et la plus harmonieuse et varier cette composition à l'infini. » L'auteur de l'article le commente ainsi :

« Les amateurs de musique, surtout ceux qui s'adonnent à la composition, ne peuvent trop s'intéresser au succès d'un ouvrage qui semble enfin nous dévoiler ce qu'un art, aussi agréable et aussi utile, a paru avoir jusqu'à présent de difficile et d'obscur ».

Ce souci de trouver en la musique une distraction aisée, n'obligeant pas à trop de contraintes, apparaît également dans la citation suivante, extraite du Journal de Musique pour une Société d'amateurs7 :

« Les musiciens vivent vieux, plus vieux que les peintres et gens de lettres. (…) Mais attention : la musique qui est favorable à la santé est la musique simple, près de la nature. La musique savante et trop hérissée de difficultés n'est plus un plaisir, c'est un travail ».

Nicolas Framery 8 fit paraître en 1770 le premier numéro de son Journal de Musique. Il en annonça la parution par un prospectus ainsi libellé :

« Nous ne négligerons rien de tout ce qui pourra procurer aux personnes qui ont du goût pour la musique et qui n'en auraient néanmoins aucune teinture , les moyens de s'instruire, en leur évitant le dégoût de cette pratique élémentaire (…) dont la sécheresse rebute beaucoup de personnes ; et ceux qui ne voudront pas sacrifier un temps considérable pour apprendre la musique, donneront volontiers quelques quarts d'heures pour avoir une notion suffisante de cette science. (…)

Cinq parties :

I. Recherches historiques sur la musique de tous les pays … anecdotes sur les effets de la musique et sur la vie des musiciens et amateurs célèbres.

II. Annonces et extraits de tous les ouvrages nouveaux de musique de France et des pays étrangers … et copie gravée de tous les airs nouveaux … Il y aura des accompagnements de harpe, guitare, violon, flûte ou clavecin.

III. Recherches sur la composition, les progrès, la perfection et le jeu de chaque instrument.

IV. La Danse … nous donnerons les figures des danses nouvelles.

V. Maîtres et maîtresses de musique, marchands de musique, facteurs, copistes, musique ou instruments à vendre ou louer, concours d'organistes, concerts publics, spectacles.

(…) Nous invitons (…) les musiciens et gens de lettres à nous communiquer tout ce qu'ils connaîtraient et auront de relatif à la musique. »

Les premiers volumes de ce périodique proposent un cours de théorie musicale, d'harmonie et d'analyse, tiré du Dictionnaire de Musique de Jean-Jacques Rousseau 9, avec commentaires de l'auteur.

Il y avait donc chez l'apprenti musicien ou l'amateur du XVIIIème siècle une demande d'ouvrages clairs et relativement courts, et les compositeurs et éditeurs s'ingéniaient à la satisfaire. Il est vrai que ce siècle est celui de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, parue entre 1751 et 1772, somme de toutes les connaissances, dont les articles sur la musique furent pour la plupart rédigés par Jean-Jacques Rousseau. Les auteurs de cette époque cherchent davantage à instruire qu'à plaire au goût du jour, et le public est friand de connaissances techniques et artistiques.

Dans cette tendance pédagogique, ce siècle vit l'invention de nouveaux systèmes de notation musicale, dont la méthode alphabétique de Jean-Jacques Rousseau, mais qui ne restèrent pas dans les annales. En revanche, c'est à cette époque que Jean-Philippe Rameau posa les principes de son système harmonique 10. De nombreux ouvrages théoriques furent édités, traitant de la technique musicale mais aussi touchant à l'art, à l'esthétique musicale.

Enfin, la « Querelle des Bouffons », qui divisa la France musicale à partir de 1752 fut le point de départ de nombreux libelles, pamphlets ou échanges de vues comparant le style musical français et le style italien.

Tous ces événements ne pouvaient qu'inciter l'amateur éclairé à en savoir plus. Mais comment, dans quelles conditions pouvait-il s'instruire ou se faire entendre ? Attachait-on au choix d'un maître une certaine importance, ou celui-ci n'était-il que le personnage en livrée que nous décrivent les biographes de Haydn ? C'est ce que nous examinerons dans une première partie, en nous attachant plus particulièrement aux instruments à archet dont nous étudierons l'évolution de l'enseignement en seconde partie. Enfin, nous examinerons les traités théoriques pour ces instruments et tâcherons de dégager s'il y a lieu l'évolution de leur forme.


1 Le Mercure de France : Cette revue mensuelle fut fondée en 1672 sous le nom de Mercure Galant et devint en 1724 le Mercure de France. Elle est consacrée à la littérature, à la musique, aux arts et aux sciences en général. Elle parut jusqu'en 1823.

2 Le Mercure de France, Mai 1732 : « au sujet de la publication d'une Méthode pour apprendre la musique en peu de temps », par L.P.C.J. (auteur non identifié).

3 Ibid., Juin 1732, extrait d'un article sur le « Bureau Typographique ».

4 Champigneulles, Bernard, « L'âge classique de la musique française », Paris, Aubier, 1946.

5 « Madame » : Elisabeth-Charlotte de Palatinat-Simmern dite « la Palatine » (1652-1722), épouse de « Monsieur, frère du Roy » Philippe d'Orléans. On connaît sa correspondance avec sa famille allemande, qui décrit les mœurs et la façon de vivre de la cour … sans ménagement aucun, la Princesse ayant le verbe haut et appelant un chat un chat !

6 Francesco Geminiani (1687-1762), compositeur, violoniste et pédagogue italien, auteur d'œuvres de musique de chambre et orchestrale ainsi que d'ouvrages pédagogiques.